Conclusions :

Il est indéniable que la France, puissance mandataire, a fait au Levant une oeuvre profondément humaine, mais dans le conflit du Sandjak d'Alexandrette, notre Gouvernement d'alors a commis une faute(1).

Le point de vue de la Turquie se soutient, même si ses méthodes de propagande sont discutables ; le point de vue de la Syrie se soutient également, même si ses partisans furent maladroits ; mais le point de vue français a toujours manqué de netteté. En voulant satisfaire à la fois la Syrie et la Turquie, nous avons donné une pénible impression d'indécision qui a indisposé l'un et l'autre pays, ainsi que les représentants de la S.D.N.

Ce qui paraît impardonnable, c'est la légèreté avec laquelle la France a compromis ceux-la même qui avaient confiance en elle.

Pourquoi faire des promesses de fermeté alors qu'on n'est pas certain de les tenir ?

Ceux qui ont vu les filmes de camions transportant des Arméniens, des Chrétiens de langue arabe et des familles de toutes communautés s'en allant vers Alep ou Lattaquié avant l'annexion du Sandjak à la Turquie, conserveront le souvenir douloureux d'un des premiers convois de personnes déplacées dont le reste du monde allait bientôt voir en grand le triste spectacle.

Enfin, il paraît difficilement de réfuter la thèse syrienne(2) qui se résume comme suit :

« La France avait reçu de la S.D.N. la mission d'être la tutrice de la Syrie et, en cette qualité, elle ne devait pas, dans son propre intérêt diplomatique, utiliser les biens de sa pupille. Ayant reçu son mandat de la S.D.N., elle pouvait sans doute le remettre à cette même S.D.N. mais ne devait pas en disposer à sa guise sans l'accord de la Syrie.

Si les évènements internationaux d'alors lui interdisaient d'utiliser son armée pour protéger le Sandjak, il valait mieux subir un éventuel coup de force que d'y consentir après la démission de la commission de la S.D.N. car, dans la houle de l'histoire, la question peut, un jour, se poser, en droit international de savoir sur quelles bases juridiques incontestables s'est opéré ce transfert de territoire. L'assemblée du Hatay qui proclama cette annexion ne peut être considérée comme ayant été singulièrement élue puisque la Commission de la S.D.N. s'était désistée avant d'avoir terminé ses travaux. Seul, un accord librement négocié entre la Turquie et la Syrie peut résoudre ce problème que la France, inquiète des évènements qui bouleversaient l'Europe en 1937 et 1938, a laissé se régler d'une manière juridiquement trop sommaire. »

A la vérité, les turcs, maîtres de ce territoire ne se montrèrent point tyranniques ; un effort considérable fut entrepris par eux pour doter le pays d'un équipement moderne et lui donner la prospérité économique.

Nous croyons au droit des nations à disposer d'elles-mêmes, mais quand par suite du brassage des populations, les nations se trouvent imbriquées les unes sur les autres ou enchevêtrées d'une manière inextricable sur le même territoire, nous pensons que pour éviter aux individus des souffrances inutiles et la domination par la force de l'une des nations sur les autres, il est préférable de faire appel à la raison et de calmer l'exaltation nationale.

Des concessions s'imposent naturellement de l'une à l'autre des communautés pour permettre aux hommes de travailler tranquillement et de vivre avec dignité, sans complexe d'infériorité ni de supériorité. Les faits ont démontré dans de nombreux cas la possibilité de cette coexistence pacifique de diverses communautés dans un même pays aussi bien en Europe que dans le Proche-Orient.

L'essai timidement tenté en ce sens par la S.D.N. et par la France dans le Sandjak d'Alexandrette a échoué parce que la conjonture internationaleà la veille de la guerre de1939 n'était pas favorable à une solution de raison.