Troisième phase : 3ème partie :

Septembre 1938 : Le Parlement des Quarante se réunit pour la première fois le 2 Septembre 1938, dans la salle du cinéma Empire, à Antioche.

Le colonel COLLET, représentant du gouvernement français et S.E. CEVAD ACIKALIN, représentant de gouvernement turc, occupaient les places d'honneur en face du docteur Abdurhaman, administrateur du Sandjak. Dans les tribunes, se groupaient un grand nombre d'invités, parmi lesquels on remarquait les Consuls de Turquie, d'Angleterre, d'Italie, à Antioche et Alexandrette. Au dehors se massait une foule d'environ 20.000 spectateurs enthousiastes. La fanfare et une compagnie turque d'infanterie de montagne ainsi qu'une compagnie française de tirailleurs marocains rendaient les honneurs.

Après le discours inaugural du doyen d'âge, l'assemblée procéda à l'élection de son président et de deux vice-présidents. M. ABDULGHANI TURKMAN fut élu Président, MM. WADI KARABAY et ZEIN EL ABDIN MARUF furent élus Vice-Présidents.

 Dans un discours très applaudi, le nouveau Président rappela les efforts de la population pour obtenir l'indépendance et il exprima sa reconnaissance au Président Ataturk et à la France, qui surent résoudre dans la paix la délicate question du Sandjak, base d'une entente durable entre la France et la Turquie.

Après la prestation du serment de fidélité des députés au statut organique et à la loi fondamentale, l'assemblée élit à l'unanimité, S.E. TEYFOUR BEY SOKMEN, Président du Sandjak, et décida que  « l'entité distincte » du Sandjak d'Alexandrette s'appellerait désormais le « Hatay ».

Les députés des groupements orthodoxes, arméniens, alaouites se succèdent à la tribune et exprimèrent eux aussi leur satisfaction de voir enfin tranché un litige dont souffraient toutes les communautés .

L'assemblée clôtura ses débats par le vote d'une motion de reconnaissance aux représentant de la France et de la Turquie.

A la séance du Mardi 6 Septembre 1938, l'Assemblée accordait sa confiance au nouveau gouvernement présidé par le Docteur ABDULRAHMAN MALEK, et adoptait comme pavillon officiel du Hatay le drapeau rouge avec le croissant blanc et l'étoile rouge entourée d'un liseré blanc, c'est a dire le drapeau turc sauf le point rouge à l'intérieur de l'étoile blanche.

Il importe de remarquer que les cinq membres du nouveau gouvernement(1) ne font pas partie de l'assemblée législative, et sont tous des turcs, originaires du Sandjak, ayant fait leurs études en Turquie. Quelques sous-secrétaires d'Etat appartiennent aux autres communautés mais ne détiennent en fait aucun pouvoir.

L'attitude de ce gouvernement est caractérisée par une extrême docilité à l'égard du gouvernement d'Ankara qui transmet, par l'intermédiaire des Consuls de Turquie dans la Sandjak, des ordres qui sont immédiatement  exécutés. Autrement dit, le gouvernement turc s'est substitué indirectement mais réellement à l'autorité mandataire émanant de la S.D.N.

D'ailleurs, l'une des premières mesures de ce gouvernement fut de licencier les techniciens français des divers services administratifs :

        M. COSTE                            Inspecteur des Travaux Publics

        M. MERLAT                         Conservateur du Musée

        M. BRUNET                         Chef d'atelier des T.P.

        MM. WELHEM                    Membre de la Cour Suprême du Sandjak

        NAUGAIN                            Membre de la Cour Suprême du Sandjak

        De BAUBRUIN                    Membre de la Cour Suprême du Sandjak

        SPINER                                Membre de la Cour Suprême du Sandjak

        M. RONIEU                          Chargé de la capitainerie du port D'Alexandrette 

        M. BAZANTAY                    Inspecteur de l'Enseignement

Ces mesures qui ont pour but évident d'éliminer l'influence française sont cependant accompagnées de protestations d'amitié à l'égard de la France, et si les maladresses apparaissent trop lourdes, le gouvernement du Hatay déclare qu'il ne s'agit là que de simples malentendus. L'administration des douanes qui, relevant du Haut-Commissariat de la République française, demeurait le seul obstacle devant l'emprise turque, a été abandonnée aux autorités du « Hatay » le 20 Octobre 1938. Le prestige de la France a disparu : la 25 Septembre 1938, un officier français, le Lieutenant CHABOT, était abattu dans une rue d'Antioche à coups de revolver, au cours d'une banale discussion, par un sous-officier turc, sans déterminer dans la foule le moindre mouvement extérieur de réprobation.

Par contre, ce meurtre consterna les officiers turcs de la garnison qui exprimèrent leurs regrets au Colonel COLLET. Comme le Lieutenant CHABOT n'était pas mort sur le coup et qu'il était question de transfusion pour essayer de le sauver, un officier turc offrit spontanément son sang. L'offre ne fut pas acceptée car elle était inutile ; mais je n'ai jamais su si le meurtrier avait été arrêté et puni.

Le 2 Septembre, à l'occasion de la séance inaugurale de l'assemblée législative, le Président de la Chambre tout en exprimant bien haut ses sentiments de reconnaissance à l'égard de la Turquie, et de son Chef, le Président Ataturk, n'oubliait cependant pas de prononcer quelques paroles polies à l'égard de la France. Le 1ier Novembre 1938, un pas de plus a été franchi, le fossé entre la France et le Sandjak se creuse, il n'est plus question de la France ; toute la reconnaissance du Président TEYFOUR BEY SOKMEN va à la  Turquie, comme en font foi les paroles suivantes qu'il prononça à la séance d'ouverture de la session parlementaire : « Ainsi que cela a été exposé à maintes occasions, le Hatay qui à été depuis 20 ans le théâtre de nombreux événement, a finalement obtenu ses revendications grâce à la volonté inébranlable du Grand Sauveur Ataturk.

La marche vers l'annexion(1) de cette région à la République Turque se poursuit (Novembre 1938) sans rencontrer d'obstacles. L'influence française disparaît rapidement de toutes les branches de l'activité et, en particulier, de l'enseignement où la place de la langue française et de la langue arabe a été réduite au minimum. Dans quelques années, l'influence culturelle française risque de n'être plus qu'un souvenir, à moins qu'elle ne prenne une autre forme sur un plan plus élevé que celui de l'organisation scolaire.

En résumé, au 30 Novembre 1938, l'influence de la France a disparu :

Le français, langue véhiculaire de l'enseignement secondaire scientifique, a été remplacé par le turc ; le français a été supprimé de l'enseignement primaire officiel. Les jeunes gens qui poursuivaient leurs études supérieures à la Sorbonne ou dans les écoles supérieures françaises ont été privés de leurs bourses d'études et rappelés dans le Sandjak.

Tel est le résultat de l'accord du 10 Mars 1938.

La seule trace de la force française résidait en Décembre 1938, dans l'occupation militaire mixte franco-turque. Il suffira désormais de peu de chose pour que le Parlement des Quarante proclame, en 1939, l'annexion pure et simple du Hatay à la République turque.

Le Colonel COLLET, comme ses prédécesseurs, a fait son devoir de son mieux, obéissant à sa conscience et aux directives de ses chefs. L'erreur qu'il a commise, comme bien d'autres français d'ailleurs, a été de croire un moment que la Turquie accepterait la semi-indépendance du Hatay.

Quelques-uns (et en particulier les membres des Communautés non turques du Sandjak) ont vivement critiqué la sévérité de ses mesures de police, mais, si le gouvernement français avait vraiment décidé de concéder à la Turquie un droit d'ingérence permanent dans la Sandjak avant de lui permettre de l'annexer, la méthode suivie par le Colonel COLLET était la seule qui put amener cet état de choses sans déterminer de plus graves effusions de sang dans le heurt des clans antagonistes.

Il ne faut donc pas incriminer les individus qui, sur place, étaient chargés de l'exécution : les évènements internationaux les ont tous fait entrer dans un engrenage dont ils ne pouvaient plus sortir qu'en demandant leur rappel.