Troisième phase : 1ère partie :

De juin 1938 à 1939, le Colonel COLLET représentant l'autorité française, le Sandjak qui porte alors le nom de Hatay, passe rapidement d'un semblant d'indépendance à l'annexion à la République turc. Aucune argumentation ne parvint à modifier l'attitude de ces groupements qui, jusqu'au jour où l'armée turque entra dans le Sandjak, restèrent fidèles à leur communauté et convaincus que la France les soutiendrait.

Le 3 juin 1938, Monsieur GARREAU était rappelé à Paris et le Chef de Bataillon Collet (promu Colonel un mois plus tard) était nommé à sa place, Délégué-Adjoint du Haut-Commissaire dans le Sandjak d'Alexandrette. Dans les déclarations qu'il fit alors aux représentants, le commandant Collet affirma que la décision de son gouvernement, d'appliquer l'accord du 10 mars, en donnant à la communauté turque la majorité parlementaire, était irrévocable, qu'il considérait comme adversaires tous ceux qui s'opposeraient à l'exécution de cet accord et qu'il conseillait à tous de lui faciliter la tâche particulièrement difficile qui lui incombait.

Comme celle de Monsieur GARREAU, l'argumentation du Commandant Collet se heurta à une opposition irréductible. L'un des chefs de l'Union Sandjakienne lui fit la réponse suivante : « il ne nous est pas plus possible de nous faire inscrire dans la communauté turque qu'à vous de vous faire inscrire dans la nation allemande ». (Modsès der Kaloustian)

La gendarmerie recrutée dès lors parmi les éléments turcs du Sandjak et usant de toutes sortes d'arguments fait pression sur la population des villes et des campagnes pour que le pourcentage turc permette d'atteindre l'impossible chiffre de 55 %.

Entre temps, l'état de siège avait été décrété le 4 juin à 12 heures ; le Docteur Abdurhaman Malek et Soureya Bey Khalaf, l'un et l'autre, membres influents de la Maison du Peuple d'Antioche, étaient nommés, le premier Vali (Administrateur) du Sandjak, le second, Camymakam d'Antioche.

C'est dans de telles conditions que les opérations électorales recommencèrent dans la région d'Antioche. La pression sur la population s'accentue à tel point en faveur de la Turquie, que la commission  ce la S.D.N. publie le communiqué n°14, dans lequel ses membres protestent avec la dernière énergie contre cette pression et déclarent que chacun peut continuer à se faire inscrire librement dans la communauté de son choix. Et si le pourcentage des Turcs augmente légèrement, il est encore bien loin d'atteindre les 55 % nécessaires à l'application de l'accord du 10 mars 19

12 juin1938 : Sur ces entrefaites, s'ouvre à Antioche, une conférence d'Etat-Major franco-turque chargée d'élaborer les modifications de la coopération militaires de la France et de la Turquie dans le Sandjak d'Alexandrette. La délégation turque présidée par le Général HASSIM GUNDUZ arrive à Antioche le 12 juin, et donne aux turcs l'occasion de manifester leurs sentiments de fidélité à l'égard de la Turquie (1).

Dans la nuit du 14 juin, un portefaix turc est assassiné à Antioche sur la limite des quartiers turcs et arabes. - Bien qu'aucune preuve de culpabilité put être relevée contre eux, les Chefs de l'Union Sandjakienne (Zeki Arsouzi, Selim Khoury, etc) sont arrêtées. Mais le lendemain matin à l'aube, les femmes alaouites descendaient en masse des quartiers d'Affan et tentaient de délivrer les prisonniers - la gendarmerie ouvrit le feu sur elles : deux furent tuées, le reste se disloqua

22 juin 1938 : Après ces mesures, les Alaouites restaient alaouites et le pourcentage turc ne s'élevait guère. - C'est alors que le gouvernement d'Ankara, prenant les devants, envoya une note de protestations à Genève accusant la Commission du Sandjak de ses travaux. - Le 22 juin, sentant que leurs efforts seraient vains, les membres de la Commission REIMERS suspendaient leurs travaux et décidaient de rentrer en Europe.

Tous les non-turcs sentent alors qu'ils ne peuvent plus compter sur personne : leurs chefs sont en fuite ou en prison, la liaison est coupée avec le gouvernement de Damas, a gendarmerie interdit leur rassemblement, 2 alaouites sont tués à Djedaidé près de Soueidié le 24 juin, l'entrée des troupes turques dans le Sandjak est

Annoncée comme imminente, tous ceux qui peuvent fuir s'en vont vers la Syrie, passant à travers le réseau de surveillance établi sur la frontière, en un mois, plus de 20 000 personnes principalement de l'Amouk et d'Alexandrette, quittent ainsi leurs foyers. Ceux qui ne peuvent partir baissent la tête et reprennent une attitude passive en face du destin (2).

La conférence d'Etat-major, présidée par le Général HUTZINGER qui siégeait au Lycée d'Antioche, poursuivait pendant ce temps ses travaux qui durèrent 22 jours, et aboutirent le 3 juin à une entente dont le fond devait, en principe, rester secret, mais les faits allaient immédiatement en montrer le contenu. La Turquie avait obtenu le droit de faire pénétrer 2 bataillons d'infanterie et 1 escadron de cavalerie sur le territoire du Sandjak, contre la promesse de ne favoriser en rien, en cas de conflit, les adversaires de la France. D'un côté la Turquie obtenait ainsi une satisfaction concrète ; de l'autre, la France recevait une promesse d'amitié.

Juillet 1938 : Le 5 juillet à 5 heures du matin, les troupes turques franchissaient la frontière à Hadjilar et à Payas, accueillies partout avec enthousiasme par la population turque tandis que les autres éléments restaient dans leurs maisons et leurs quartiers. Les troupes prirent garnison à l'ouest de la ligne formée par la vallée du Kara-Sou, le lac d'Antioche et la Basse Vallée de l'Oronte ; les troupes française étaient cantonnées à l'Est de cette ligne : les villes d'Alexandrette, Antioche et Kirik-Khan, avaient une garnison mixte.