Seconde phase : 4ème partie :

Mai 1938 : Du 4 au 6 mai, se déroulent à Ankara, les conversations entre les membres du gouvernement turc, en particulier MENEMINCI OGLU, et M.GARREAU. Elles aboutissent à un accord aux fins duquel le délégué français s'engageait à éloigner de leur poste un certain nombre de fonctionnaires autochtones pour éviter des pressions anti-turques de la part de l'administration. De leur côté, les Turcs s'engageaient à suspendre leur campagne d'agitation. -Et le communiqué publié à l'issu de ces conservations insistait sur la loyauté et la franchise dont avait fait preuve de part et d'autre les négociateurs.

Les faits allaient aussitôt apporter un démenti à ces déclarations car, dans la nuit du 6 au 7 mai, des agitateurs turcs abattaient à coups de fusil 2 gendarmes dans les rues d'Antioche. Au lieu d'apaiser, la tension alla encore en augmentant après cette agression, et pour faire face à toute éventualité, un bataillon de tirailleurs Marocains fut mandé de Damas.

De retour de Turquie, M.GARREAU prend dans le Sandjak une série de mesures conformes aux accords qu'il avait conclu à Ankara. Alaeddine Bey, secrétaire général du Sandjak, Hassan Bey Gébara, Directeur des Finances, Salaeddine Kousseyri, Caymakam d'Antioche, Rassim Bey, chef du Service des Travaux Publics furent mis aussitôt en congés, tandis que Cheikh Chamsedeine, Chef  du Service de l'Agriculture était nommé secrétaire général, et qu'Hadji Edhem Bey, recevait le poste de Caymacam d'Antioche.

Mais le mouvement anti-turc était bien plus fort que la volonté des fonctionnaires français et turcs. Ni M.GARREAU, ni ses subordonnés, ne pouvaient empêcher ces gens-là de s'unir pour éviter la prédominance de la communauté turque qu'ils considéraient comme la première vers l'annexion à la Turquie. Et c'est ainsi que l'union qui s'était déjà produite en janvier 1937, se rétablit de nouveau, et bien plus solidement que par le passé. Dès les premières journées des opérations d'inscription (3 mai 1938) l'allure générale se dessina : les Alaouites sur qui les Turcs comptaient, leur faisaient défection en s'inscrivant dans la Communauté Alaouite et un bon nombre de Turcs fidèles aux traditions religieuses, par suite adversaires du Kémailisme, refusaient de se faire inscrire dans la Communauté turque. Le 4 mai, une échauffourée éclatait à Alexandrette entre Turcs et partisans de l'Union Sandjakienne faisant 6 blessés dont 4 turcs et 2 arabes.

Le 7 mai, le bataillon de Tirailleurs Marocains, commandé par le chef de Bataillon COLLET, arrivait à Antioche, ramenant provisoirement un peu de calme. Mais les opérations électorales démontraient de plus en plus que les Turcs ne constituaient pas la majorité du Sandjak : le 20 mai au soir, dans les seuls Cazas d'Alexandrette et de Kirik-Khan, la Commission de la S.D.N. faisait le relevé suivant : Turcs 47 % - Non Turcs 53 %.

Dans la nuit du 24 au 25 mai, au village de Airangi Charki, dans l'Amouk, une bande turque cernait l'agglomération, assassinait 2 notables, en blessait plusieurs autres et incendiait une maison

Les mesures prises immédiatement pour arrêter les agresseurs et en particulier les perquisitions faites à la Maison du Peuple de Réhanié, furent interprétées par la presse turque, comme des actes de déloyauté de la part de la France à l'égard de la Turquie, la campagne de presse redouble de violence contre les représentants de la France et les attentats deviennent quotidiens :

Et pendant que des hommes se faisaient tuer dans le Sandjak, les directives qui venaient de Paris conseillaient de donner satisfaction aux revendications turques.

La tâche des autorités françaises et, en particulier, celle de M. Roger GARREAU, Délégué-Adjoint du  Haut-Commissaire, devient impossible. Il lui fallait, en effet, suivre loyalement les directives de son gouvernement, éviter de créer à son pays des complications nouvelles dans ces temps troublés et sauvegarder les intérêts de toutes ces communautés aux aspirations divergentes. Lui aussi a fait de son mieux.

En face de cette situation, la Commission de la S.D.N. décide de suspendre pour 5 jours (du 1er au 5 juin), les opérations de recensement électoral.

Monsieur GARREAU réunit, à plusieurs reprises, les chefs des communautés non turques et tente de les convaincre qu'il est de leur intérêt d'accorder la prédominance au groupement turc du Sandjak ; mais il se heurte perpétuellement à l'argument suivant : « Si la France veut donner le Sandjak aux Turcs, si la France accepte que l'armée turque occupe le Sandjak, elle est libre de le faire, mais qu'elle le fasse malgré nous ; nous ne pouvons pas nous faire inscrire comme Turcs nous ne le sommes pas ».