Seconde phase : 3ème partie :

Pour obtenir cette majorité parlementaire, but essentiel et immédiat de leur activité, les turcs résolurent :

Pour gagner les Alaouites, des sommes considérables furent dépensées auprès des cheikhs en renom : Cheikh Marouf de Souédié, Cheikh Abdullah Ghaly d'Antioche, Cheikh Hamit d'Alexandrette, et pendant un moment l'on put penser que grâce à l'influence des cheikhs, la Communauté Alaouite de langue arabe, allait glisser du côté turc.

A Genève, où la Commission chargée de préparer le règlement électoral était rentrée, les Turcs insistaient pour que l'inscription dans les communautés statutaires, au lieu d'être basée sur la langue et le rite religieux des individus, fut admise purement et simplement d'après la déclaration non contrôlée de l'intéressé. Dans le Sandjak, on était convaincu que la thèse d'Ankara serait repoussée, aussi fut-ce avec stupeur que l'on apprit qu'une fois encore les Turcs avaient obtenu gain de cause.

Pendant un certain temps, on put croire que cet accord allait gravement compromettre la cause de l'union Sandjakienne. En effet, sous couleur de libéralisme, l'adoption de la thèse turque permettait aux grands féodaux de recourir à leurs procédés traditionnels d'oppression, ils pouvaient désormais faire pression sur leurs fellahs arabes, alaouites ou kurdes, pour les mettre dans l'alternative de se faire inscrire sur les listes turques ou d'être congédiés de leurs fermes, c'est-à-dire d'être réduits à la misère. Le péril était d'autant plus grave que la Ligue d'Action Nationale Arabe refusait de s'entendre avec l'Union Sandjakienne et que cette dissidence risquait de détruire la cohésion des non-turcs.

Pour réagir contre cette tendance à l'éparpillement des Arabes, le Gouvernement Syrien de Damas dirigea sur Antioche un Délégué chargé de ramener l'Union entre les groupes non-Turcs du Sandjak. Sa tâche était ardue car des rivalités personnelles mettaient aux prises tous les petits chefs de groupes locaux et, devant le succès permanent des Turcs dans les conférences internationales, bien  des pères de familles se demandèrent s'il n'était pas plus sage de se concilier d'ores et déjà les bonnes grâces du vainqueur de demain. Les Turcs le sentaient et accentuaient leur propagande promettant toutes sortes de faveurs à ceux qui se déclaraient pour eux. Et c'est ainsi que des Catholiques d'Alexandrette séduits par la promesse de recouvrer leurs propriétés de Cilicie se firent inscrire comme membres de la maison du peuple.

Le but du gouvernement d'Ankara apparaît alors dans toute sa clarté ; après avoir obtenu la suppression de l'administration syrienne dans le Sandjak et demandé l'installation d'une administration française, il lui fallait désormais diminuer cette même administration en maintenant le pays dans une atmosphère de troubles ; les journaux continuent leurs attaques, des bagarres sont fomentées dans les villages (Kar Bayaz), des coups de pistolets sont tirés en l'air, la nuit, à Antioche, les Turcs refusent de s'adresser à l'administration officielle et font régler leurs conflits par les organismes de la maison du peuple.

Ce qu'ils veulent, c'est donc :

Avril 1938 : Ne sachant que penser de ces affirmations qui s'amplifiaient de jour en jour, Monsieur GARREAU partait vers la mi-avril pour Paris avec l'intention de demander des directives.

Pendant son absence, le 21 avril, les membres de la Commission REIMERS, chargés par la S.D.N. de contrôler les élections, arrivaient dans le Sandjak.

A la fin d'avril, M.GARREAU rentrait de Paris et conseillait à ses subordonnés de rester dans la légalité sans toutefois gêner la propagande électorale turque et, quelques jours après son retour, le premier mai, il partait pour Ankara en compagnie de M.KARASAPAN, Consul Général de Turquie à Antioche.